Malgré le fait que la fête nationale se veuille un moment de rassemblement autour de la question nationale, cette dernière fait justement parfois apparaître des dissensions au sein même des manifestations de la fête. Ainsi, la politisation à outrance ou, à l’inverse, l’absence de réflexion politique au sein de la fête peut donner lieu à un dédoublement de celle-ci. Voilà comment apparaissent parfois des fêtes parallèles, dont le positionnement par rapport aux festivités officielles est révélateur de tensions relatives à la question nationale au sein de la société québécoise.
Un premier exemple de cette dynamique survient d’ailleurs dès les tout débuts de l’histoire politique de la Saint-Jean-Baptiste. Ainsi, deux ans à peine après que le premier banquet eut été célébré en 1834, en 1836, les dissensions entre Patriotes radicaux et modérés font apparaître un banquet parallèle à celui toujours organisé par Ludger Duvernay (fondateur de la fête politique et sympathisant patriote plutôt radical dans ses positions). S’y réunissent, dans le jardin de l’avocat John MacDonnell, un groupe de Patriotes plus modérés qui se distancient de la polarisation politique qui mena, l’année suivante, au début des Rébellions.
Plus près de nous, rappelons le spectacle parallèle mis sur pied par les groupes Loco Locass et Les Cowboys Fringants, en 2005, à une époque où le gouvernement libéral de Jean Charest avait considérablement réduit le financement accordé à l’organisation de la fête nationale. Jugeant alors les festivités officielles comme étant trop dépolitisées, les deux groupes décidèrent de mettre sur pied un spectacle qui célèbrerait la nation québécoise dans une optique plus nationaliste. Ne bénéficiant d’aucun support financier de la part des instances officielles de la fête nationale (Mouvement national des Québécois, Société Saint-Jean-Baptiste), ce spectacle fut organisé au parc Jean-Drapeau et dut faire appel à des commanditaires (Coke, Gillett) et à la vente de billets pour faire ses frais, ce qui ne fut pas sans amener un lot de critiques aux organisateurs. Malgré cela, le spectacle fut un franc succès, plusieurs appréciant son ton beaucoup plus engagé que celui du spectacle officiel.
On a également vu apparaître, en 2009, un spectacle organisé dans le quartier Rosement, à Montréal, nommé l’Autre Saint-Jean et se voulant un lieu de promotion de la musique émergente, contrairement aux spectacles officiels qui en reviennent pratiquement toujours aux « vieux classiques » de la chanson québécoise (dont l’incontournable Paul Piché)… Ce spectacle entraîna cependant quelques polémiques, notamment en 2009 en invitant des groupes anglophones (Lake of Stew et Bloodshot Bill), de même qu’en 2010 où l’on voulu interdire le drapeau patriote sur les lieux du spectacle, un symbole à la charge politique (voire révolutionnaire) trop affirmée au goût des organisateurs.
Comme on peut le constater, si la fête nationale est bel et bien un lieu de rassemblement se voulant exempt de clivages idéologiques, les visions parfois concurrentes entretenues de la nation par différents groupes de la société québécoise ne manquent pas de transparaître, du moins à certaines occasions, dans les célébrations de la fête. Celles-ci en deviennent alors le lieu d’affirmation, ce qui démontre que la fête nationale, malgré certains aspects quelque peu entendus, peut toujours constituer un lieu vivant et dynamique d’expression et de réflexion nationale.